Plage pour femmes
**Marina Palm-Alger
une plage réservée uniquement pour les femmes
Des rires, un peu de raï, des allers-retours incessants de femmes, de jeunes filles, de fillettes… Que se passe-t-il dans cette maison à Alger Plage ? Vous n’êtes pas à un mariage ou à une réunion familiale, mais à Marina Palm, un complexe en bord de mer situé à Bordj el Bahri, sur la cote est de la capitale. *Reportage: Amina Boumazza |TSA
Caché dans une ruelle qui donne sur la mer, le Marina Palm est une petite maison qui abrite un espace immense : piscine, restaurant, salle de réception et surtout plage privée. À peine entré, vous croisez alors cet incessant ballet, mais c’est à l’arrière que se déroule l’essentiel du spectacle. Derrière un voile bleu, se cache un monde exclusivement féminin, vous ne trouverez pas un seul homme derrière cette frontière artificielle. Marina Palm ne propose l’accès qu’aux femmes et à leurs enfants.
Elles ont tous les âges, tous les physiques, et viennent de différentes wilayas. Leur seul point commun est de vouloir passer une journée tranquille à la plage, sans tracas. Et apparemment ça se passe sans testostérone. « On vient parce que c’est réservé aux femmes, dans mon groupe nous portons toutes le hijab et on ne peut pas l’enlever sur la plage, pour une fois on est à l’aise, on peut se baigner en maillot », explique Halima, qui vient pour la première fois. Le comble est que cette jeune algéroise habite au bord de la mer à Ain Benian, mais devant chez elle, il est impossible d’être à l’aise. Alors qu’au Marina Palm, dès que vous avez passé le guichet et barrières qui les cachent, les femmes peuvent quitter leurs vêtements, hijabs et foulards, pour profiter librement des rayons du soleil. Marina Palm c’est l’oasis des femmes, un bout de plage réservé au sexe féminin.
Ma liberté pour 1 000 dinars
Au départ, le complexe n’était pas réservé exclusivement aux femmes. « Lorsque nous l’avons ouvert c’était réservé aux familles. Seuls les hommes accompagnés pouvaient venir. Puis on a décidé de consacrer un jour par semaine aux femmes. Devant le succès je me suis dit que les femmes algériennes méritaient d’avoir leur propre plage », explique Reda Bourayou, le fondateur du lieu. Cet algérien qui avait migré il y a 25 ans à Dubaï, est revenu dans les années 2000 à Alger pour construire le Marina Palm. Le lieu a été ouvert en 2011, et rencontre beaucoup de succès. « Je savais que l’avenir de l’Algérie c’était le tourisme, j’ai donc investi dans ce projet, en me servant de mon expérience aux Émirats. Parce que ce type de lieu l’État ne l’aurait jamais fait. Plutôt que de payer 1 200 dinars à des voyous qui restent toute la journée à vous surveiller, mieux vaut venir ici », estime Reda Bourayou.
Parce que ce ne sont pas seulement des raisons religieuses qui poussent ces femmes à se cacher dans l’antre du Marina Palm. La sécurité et la discrétion, sont aussi des options qu’on ne trouve pas sur la plupart des plages algéroises. Ainsi des Algériennes de tout le pays s’offrent alors ce loisir pourtant accessible gratuitement ailleurs, mais surtout pour les hommes. Lorsqu’on est une femme, aller sur les plages publiques est une épreuve. Les regards insistants, la drague, le harcèlement, le manque d’hygiène et l’insécurité rendent des journées de détente infernales. Alors qu’un ticket d’entrée à 1 000 dinars pour les adultes, et 500 dinars pour les enfants permet de se baigner, bronzer en toute tranquillité. Pour celles qui souhaitent accéder à la piscine, il faudra débourser 1 500 dinars. Sur place elles peuvent se restaurer, emprunter des transats, des parasols. Pour les enfants des espaces jeux sont aménagés, toboggans, petite piscine… De quoi s’occuper toute la journée.
« On m’en a dit beaucoup de bien, j’ai eu envie d’essayer. Je veux voir ce que c’est d’être à la plage entre femmes », explique une mère de famille à l’entrée, qui a l’air toute excitée à l’idée de passer sa journée entre femmes. C’est l’étonnement lorsque vous entrez. Les clientes respirent la joie, s’assument, s’amusent. Certaines s’autorisent même un petit déhanché sur les musiques de l’été. C’est une journée entre copines.
Certes l’Algérie n’interdit pas la mixité mais elle favorise une séparation des sexes. Les hommes dehors, les femmes à l’intérieur. Sur le complexe les femmes peuvent s’approprier un espace extérieur même s’il reste limité en termes de surface. C’est le seul moment où elles peuvent bronzer sans hidjab, même si certaines sont sceptiques quant à leur intimité. « Ce n’est pas assez caché, les hommes de la plage d’à côté peuvent nous regarder, il suffit d’une paire de jumelles », s’inquiète Sonia. D’autres méfiantes préfèrent garder leur voile même à l’intérieur ou arborent le fameux burkini. À croire que les Algériennes n’ont jamais été aussi pudiques.
Le concept avant le lieu
Le lieu n’est certes pas parfait, et n’a pas nécessairement l’allure d’une oasis de rêve. « Ce n’est pas toujours très propre, tous les déchets de la mer se retrouvent coincés ici parce qu’il y a une clôture », regrette une cliente du Marina Palm. Une heure après l’ouverture difficile de trouver un transat de libre et en bon état. « L’an dernier c’était parfait, mais cette année je trouve que ça s’est dégradé, c’est devenu plus sale », regrette une cliente pourtant régulière.
Au Marina Palm on justifie la situation par le nombre croissant de visiteurs, et le manque cruel de personnel. « J’essaye de recruter plus de monde, mais c’est difficile de trouver des maîtres nageuses femmes, des serveuses, des femmes de ménage ou des femmes pour assurer la sécurité, je lance un appel d’ailleurs ! Je recrute », s’explique Reda Bourayou. Et d’ajouter, « J’ai beaucoup investi dans ce lieu parce que je crois à cette idée, que les femmes ont le droit de profiter de la plage. J’ai eu une cliente de 80 ans la dernière fois qui me racontait qu’elle se baignait pour la première fois. Rien que pour ça je pense que ce que je fais est une bonne chose. Malheureusement je ne peux pas tout surveiller ou tout renouveler. Je ne peux pas éduquer les femmes à arrêter de jeter leurs poubelles dans la mer », estime-t-il.
Mais les clientes reviennent sans arrêt, nous sommes un jour de semaine, il est seulement midi et le Marina Palm est déjà presque complet. Une demande est là, et les clientes semblent épanouies.
« C’est triste à dire, mais on a pas le choix, c’est pour ça que l’on revient à chaque fois. Il n’y a pas beaucoup d’endroits où on peut se baigner, ici au moins on a le choix, il y a la piscine et la plage et personne pour nous embêter », explique Camélia une jeune algérienne qui vit en France. Elle n’est pas séduite par l’endroit mais plutôt par le concept. « C’est vrai que ce n’est pas parfait mais on est à l’aise ici », explique une Algéroise âgée d’une trentaine d’années. Elle est avec ses amies, toutes en bikini, elles se prennent en photo, prennent la pause, rient en chœur… Ce souvenir elles ne le posteront pas sur les réseaux sociaux comme font la plupart des filles de leur âge dans d’autres pays, mais elles le garderont au moins comme une journée sans entêtement.
Entre femmes, c’est tout
Le Marina Palm a compris le filon, offrir de la tranquillité aux femmes, c’était le succès assuré. Et cela devient presque un phénomène en Algérie où les activités entre femmes se multiplient. Sur le site Kherdja on découvre que certaines activités se font entre femmes. Comme cette sortie à vélo du 15 août, réservée aux femmes et aux couples. On voit de plus en plus de soirées entre femmes, ou encore des clubs de femmes à l’image du Ladies Business club qui accueille de nombreuses algériennes qui souhaitent avoir des loisirs entre elles, ou avec leurs enfants.
Ce concept n’est pas nouveau et a déjà été exploré en Méditerranée, plus précisément au Liban, à Beyrouth où ce type de complexe pour femmes existe déjà et rencontre beaucoup de succès. Ce n’est pas une question religieuse, mais comme à Alger le manque de plages publiques dans la capitale, pousse les Libanaises à opter pour cette option.
Même chez nos voisins maghrébins, la question se pose. À Tanger au Maroc, plusieurs femmes ont réclamé aux autorités de leur réserver des plages, pour des raisons de sécurité, ou religieuse. Elles ont même lancé un événement sur Facebook, et mettent la pression sur les autorités pour avoir leur plage à elles, afin de se baigner dans la « dignité » et sans subir de « harcèlement sexuel ». À défaut de gagner le respect de leurs pairs masculins, les femmes préfèrent s’isoler, et effacent de plus en plus leur présence de l’espace public, en attendant un changement des mentalités qui n’arrivera peut-être jamais. *Reportage: Amina Boumazza |TSA/ mercredi 19 août 2015 |
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