Ces femmes qui font le charme de la révolution
*Faits marquants du mouvement du 22 février 2019 en Algérie
Ces femmes qui font le charme de la révolution
**Depuis le 22 février 2019 les Algériens vivent une ère historique. Ils respirent un air pur de liberté et de démocratie. Une révolution unique depuis l’indépendance du pays. Un soulèvement aux faits inédits, dont l’originalité continue de susciter l’admiration du monde entier. On ne peut guère parler de révolution sans parler de femmes. De plus, les femmes ont toujours marqué leur présence dans toutes les révolutions dans le monde. Personne ne pourra nier le rôle des femmes dans toutes les révolutions ayant marqué l’histoire de l’Algérie depuis les premières années de la conquête française.
Comme d’ailleurs dans le mouvement du 22 février, qui ne cesse de révéler plein de choses formidables chaque vendredi. On se souviendra pour longtemps que c’est une femme qui avait créé l’événement au lendemain de la première marche de la révolte populaire.
Meriem Abdou, brillante productrice et présentatrice de la célèbre émission «L’Histoire en marche» de la Chaîne III de la Radio nationale, avait démissionné de son poste de rédactrice en chef au service international pour protester contre le traitement réservé par la direction de l’information, qui a passé sous silence les manifestations contre le 5e mandat de Bouteflika, organisées dans tout le pays le 22 février.
«Un comportement qui foule aux pieds les règles les plus élémentaires de notre noble métier», notera-t-elle. La décision de mettre fin à son émission, prise par la direction de la radio, lui sera signifiée 24 heures après.
Meriem Abdou gagnera toute l’estime des auditeurs de la Chaîne III, mais surtout de tous ses fans, qui lui ont exprimé leur solidarité. Une action de soutien touchante, marque de cette reconnaissance symbolisée dans la personne d’une femme qui a osé manifester avec courage son refus de se soumettre au diktat de la médiocrité.
L’histoire restera encore en marche avec d’autres femmes algériennes, qui ont décidé de braver tous les interdits pour battre le pavé dans les marches de la dignité.
Belles et rebelles
Elles étaient peu nombreuses le 22 février, quand le mouvement populaire a connu son déclenchement historique. Il y avait des hésitations et des craintes. Le succès de ce premier acte sera aussi foudroyant pour effacer les réticences. La gent féminine se fera plus remarquer une semaine plus tard, quand elle sera à l’honneur dans les grandes villes.
Comme tous les Algériens, elles avaient la soif du changement après des décennies de mauvaise gouvernance. Le vendredi 1er mars sera une journée déterminante de mobilisation contre le 5e mandat pour ces milliers de femmes, qui ont pris d’assaut les places emblématiques.
Ce sera aussi un rendez-vous décisif, à deux jours du dépôt de candidature de Bouteflika. Elles se feront belles pour prendre leurs premières photos et leurs premières vidéos. Des moments historiques qui feront le tour des réseaux sociaux. Des jeunes filles découvrent les mouvements de foule.
A la rue Didouche Mourad, à Alger, la première apparition de Djamila Bouhired fait sensation. Des dizaines de jeunes viennent se prendre en selfie avec l’une des icônes de la Révolution. Avec sa veste et son pantalon noirs, un foulard marron autour du cou, Djamila était toujours joviale avec son éternel sourire, malgré ses 84 ans.
Quelques instants plus tard, Louisa Hanoune est également remarquée, avec les cadres du Parti des travailleurs. La rue Hassiba Ben Bouali, à Alger, seul lieu symbolique sur le parcours des marches qui porte le nom d’une femme, est aussi très prisée par la gent féminine. Des femmes élégantes défilent sans crainte.
Certaines portent leurs premières pancartes. Un chiffre 5 barré en rouge. D’autres n’ont pas oublié de ramener des bouquets de fleurs pour les offrir aux policiers. Des messages adressés à Ouyahia : «L’Algérie n’est pas la Syrie.» Drapées de l’emblème national, elles n’hésitent pas à poser devant les photographes et à s’exprimer devant les caméras des télévisions.
Ce même vendredi, acte 2 du mouvement populaire, sera un épisode à marquer dans l’histoire de la présence féminine dans les marches. En fin de journée, Melissa Ziad, 17 ans, danseuse et mannequin, effectue quelques pas de danse classique devant un grand drapeau algérien. Le moment n’échappera pas à Rania G. la photographe de 21 ans, qui immortalise un fait resté dans la mémoire. L’image de la ballerine au milieu des manifestants connaîtra un succès fulgurant.
Un 8 mars historique
Pour la première fois dans l’histoire de l’Algérie, une manifestation grandiose prend un cachet éminemment féminin. Les appels à une participation massive des femmes à la marche du 8 mars à l’occasion de leur Journée mondiale ont reçu un écho incomparable.
Une journée vécue intensément, minute par minute, heure par heure. Les médias étrangers seront surpris par les images de ces marées humaines, où femmes et hommes ont manifesté ensemble sans aucune différenciation. Un cycle historique pour une nouvelle ère en Algérie.
On verra des grand-mères, des filles et des petites filles défiler en famille. Trois générations sorties pour un Etat de droit et un avenir meilleur. Des femmes qui montrent au monde entier que nous sommes un peuple beau et pacifique. Il y avait aussi ce bonheur de porter les emblèmes nationaux et de chanter l’hymne national en chœur, de quoi susciter une immense émotion.
Parmi toutes ces femmes qui suscitent toute l’admiration, il y avait aussi ces étudiantes qui prennent les premières lignes dans les marches de mardi, ces secouristes engagées chaque vendredi pour apporter les soins aux victimes des répressions, mais aussi ces belles roses du printemps qui nettoient les rues après les manifestations.
Le caricaturiste, Ali Dilem, qui commente les marches via un Live Tweet ne manquera pas de rendre hommage à ces femmes. Il réalise ses premières œuvres publiées sur le site web Tout sur l’Algérie (TSA) en cette journée du 1er mars. Dans un dessin intitulé «Les Algériennes défilent avec des roses», on voit une femme portant une gerbe de fleurs, avec une mention «Repose en paix» qu’elle remet à un policier en lui disant avec colère : «Tiens c’est pour Bouteflika.»
Tout au long des marches, les femmes seront aussi bien présentes dans les nombreux Live Tweet de Dilem.
Le plus remarqué sera celui diffusé le 1er mars, sous le titre «Le temps est couvert sur tout le territoire national», dans lequel on voit un Algérien montrer une femme déployant un drapeau au vent en disant : «Pas grave, nous avons des millions de soleils.»
Un sentiment de fierté
Depuis le 8 mars, les femmes sont désormais le second souffle du mouvement populaire. Leur présence est devenue aussi indispensable. On ne peut guère faire la révolution sans les femmes, comme il n’y aura pas de démocratie en Algérie sans leur contribution.
Pour les nombreuses femmes que nous rencontrons chaque vendredi, cette présence a beaucoup apporté au mouvement populaire. «Les apports des femmes à ce mouvement populaire sont considérables et non négligeables. Elles ont montré que l’intérêt du pays est l’affaire de tous. Par leur présence, elles montrent au monde entier que l’Algérie est en train de construire sa démocratie en tant que dimension de la citoyenneté en toute égalité, sans aucune discrimination sexiste.
Elles marquent aussi à tout jamais un moment fort de l’histoire de notre chère patrie, comme l’ont fait nos martyrs et nos moudjahidate, qui ont donné leur vie pour que nous, femmes d’aujourd’hui, vivions en liberté. Elles ont également véhiculé une belle mosaïque d’une Algérie multiculturelle qui s’est réconciliée avec son identité berbéro-arabo-musulmane et qui est désormais prête à assumer les différences dans le respect de l’autre», atteste Zineb Haroun, maître de conférences à l’université des Frères Mentouri de Constantine.
«J’imagine, comme tous les Algériens, que les participations à ces marches, en l’occurrence les marches des universitaires, sont l’expression du sentiment de la fierté d’appartenance à la nation algérienne. Une fierté, tant bafouée par les périodes sombres par lesquelles est passé le pays et qui, souvent, ont impacté notre vécu sur le plan psychologique, social, culturel et économique.
Ces marches sont une modeste contribution à l’édification d’une nouvelle Algérie qui aspire à des changements en faveur d’une vie meilleure, où l’égalité des chances est le point de partage entre les Algériennes et les Algériens», soutient Zineb Haroun. Pour cette dernière, la présence des femmes a aussi consolidé le caractère pacifique des marches à travers leur sérénité, leur assurance et leur féminisme.
Du côté des jeunes, les marches du mouvement populaire, notamment celles du vendredi, sont vécues comme des moments uniques dans la vie. Yousra Salem, jeune journaliste constantinoise à El Watan, assiste pour la première fois de sa vie à un événement pareil. Elle n’avait que dix ans lorsque Bouteflika est arrivé au pouvoir.
Depuis le 22 février, une journée durant laquelle elle était parmi les rares femmes à prendre part à ce mouvement à Constantine, elle ne rate plus aucune marche. Un bonheur qu’elle ne cesse d’exprimer. «La participation aux marches est un droit avant d’être un devoir. A mon âge je n’ai jamais connu que Bouteflika comme Président, la démocratie est devenue un mythe dont on entend parler, sans la vivre réellement.
Et en tant que journaliste, je suis tenue de défendre la liberté d’expression en Algérie, qui ne peut être concrétisée réellement qu’après le départ de ce régime. Un régime qui a étouffé cette profession et a semé la peur et la corruption à tous les niveaux.
L’Algérien s’est libéré dans ces marches, il est donc de mon devoir et de mon droit de répondre présente», confie-t-elle. Pour elle, chaque journée avait sa particularité et ses slogans.
«Je pense que la journée qui m’a marquée n’est pas encore arrivée, ce sera celle de la deuxième indépendance de l’Algérie. Elle sera la journée qui marquera l’Histoire de notre pays», poursuit-elle. «L’image qui restera gravée dans ma mémoire demeure celle de la marche du 22 février, durant laquelle les Algériens se sont unis pour une seule cause et un seul objectif. C’était inattendu et surtout fabuleux», conclut-elle. * S. ARSLAN - elwatan- jeudi 20 JUIN 2019
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